Une cascade de ruptures historiques
En moins de 24 heures, deux piliers de la présence militaire française en Afrique, le Tchad et le Sénégal, ont annoncé la fin de leurs coopérations stratégiques avec Paris. Ces décisions marquent un tournant radical dans la relation entre la France et ses anciennes colonies. Le Tchad, considéré comme un bastion de la puissance militaire française depuis des décennies, et le Sénégal, dont les relations étaient jusque-là relativement stables, ont symboliquement coupé les liens. Cette dynamique s’inscrit dans une vague de rejet plus large qui secoue la présence française en Afrique, après des départs forcés au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Ces ruptures tombent à un moment délicat pour l’exécutif français. Tandis que le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, effectuait une tournée africaine censée apaiser les tensions, l’annonce tchadienne est venue renforcer l'idée d'un désaveu croissant. Plus encore, elle survient quelques jours après la remise au président Macron d’un rapport crucial sur la refonte des forces françaises en Afrique.
Le Tchad : un symbole qui s’effondre
Le communiqué tchadien du 28 novembre 2024 qualifie la décision de "tournant historique" dans l'affirmation de sa souveraineté. Depuis l’époque coloniale, la France a maintenu une présence militaire imposante au Tchad, en faisant une pièce maîtresse de sa stratégie au Sahel. Avec des bases emblématiques comme celle de Fort-Lamy, opérationnelle depuis 1939, le pays était un pilier logistique et stratégique pour Paris. Mais cette domination a pris fin, reflétant une volonté du Tchad de s’affranchir d’un héritage colonial pesant.
Cette décision illustre un camouflet pour Paris, qui voit sa présence militaire se réduire comme peau de chagrin sur le continent. Désormais, seules quelques bases en Côte d’Ivoire, au Gabon et à Djibouti semblent encore épargnées par cette vague de rétraction.
Le Sénégal, un désengagement attendu mais symbolique
Peu avant l’annonce tchadienne, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye déclarait qu’il n’y aurait bientôt "plus de soldats français" sur son territoire. Ce désengagement, bien que prévisible, représente un coup dur supplémentaire pour Paris. L’arrivée au pouvoir de ce président n’avait jamais caché un manque d’enthousiasme pour la présence de troupes étrangères, mais cette clarification marque une rupture symbolique avec l’ère précédente.
Une Afrique convoitée : la Russie à l’affût
Alors que la France perd pied en Afrique francophone, d'autres puissances cherchent à occuper l’espace laissé vacant. En septembre 2024, l’arrestation de Maxime Chougaleï, un agent politique russe notoire, à N’Djamena a levé le voile sur les efforts de Moscou pour renforcer son influence sur le continent. Lié au groupe Wagner, Chougaleï est connu pour ses activités controversées, allant de la propagande électorale à des tentatives de corruption. Son arrestation, suivie d’une libération rapide, révèle les luttes d’influence intenses qui se jouent en Afrique, où la Russie avance ses pions face à une France en recul.
Ce cas illustre une stratégie plus large de la Russie, qui s'implante dans des pays clés comme la Centrafrique, le Mali ou le Soudan, exploitant les lacunes laissées par les retraits occidentaux. Cette approche mêle soft power et actions directes, jouant sur des tensions locales pour accroître son rayonnement.
La stratégie française : tourner la page coloniale
Face à ce revers, la France cherche à réinventer ses relations avec l'Afrique en se tournant vers des nations qu’elle n’a pas colonisées. La récente visite du président nigérian Bola Tinubu à Paris en est un exemple. Ce déplacement, le premier d’un chef d’État nigérian en France depuis près de 25 ans, incarne une volonté française de diversifier ses partenariats au-delà de son pré carré historique. Ce pivot vise à réduire la dépendance à l’égard des relations traditionnelles avec les pays francophones d’Afrique de l’Ouest et à privilégier des échanges axés sur l’économie plutôt que sur le militaire.
"Nous devons échapper au poids de l’histoire coloniale et repenser nos alliances", souligne un proche du dossier. Cette approche marque une tentative d’adaptation à un continent en mutation rapide, où la France semble de moins en moins la bienvenue.
Une influence en déclin, un avenir incertain
Entre la remise en question de son rôle par d’anciens alliés et la concurrence acharnée d’acteurs comme la Russie, la France est confrontée à un défi stratégique majeur en Afrique. Ce "tournant historique", comme l’appelle le Tchad, pourrait bien redéfinir l’ensemble des relations franco-africaines. Pour Paris, l’heure est à la réinvention ou à la marginalisation définitive sur un continent qui réécrit les règles du jeu mondial.
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